Caché sous un cèdre à
la lisière du champ, j’épaulai mon fusil avec une extrême lenteur. Un gros
dindon mâle s’amenait en courant vers mon emplacement. Il répondait à l’appel
de provocation que je venais lancer à son intention. Il semblait évident qu’il
venait d’apercevoir les appelants que j’avais placés à proximité. Il gonfla son
plumage avant même d’arrêter sa course et se dirigea droit vers l’appelant
femelle afin de lui faire voir sa magnificence. Après quelques instants, il résolut
de « s’occuper » de l’autre appelant, un jeune mâle en posture
agressive. À voir le tom se diriger vers lui, je présageai le pire pour mon
appelant! Je visai les caroncules de l’oiseau, la chasse était sur le point
d’atteindre son paroxysme...
Cette chasse avait
débuté en fait 4 jours plus tôt. Le 21 avril, je profitai de la journée de
congé pour prospecter mon territoire de chasse. Chemin faisant en pleine nuit,
je songeais au terrible hiver que la faune avait eu à endurer et qui semblait ne
jamais vouloir se terminer. Dès les premiers moments de clarté, force fut
d’admettre que la mortalité hivernale avait atteint des sommets inégalés. Selon
mes observations par rapport aux années antérieures, j’estimai que les trois
quarts du cheptel avaient dû périr… Triste!
J’arrivai néanmoins à
repérer ici et là quelques groupes de survivants. Une nouveauté à la
règlementation pour 2014, la limite de prise avait été augmentée à deux oiseaux
par chasseur. Dans mon esprit, il était clair à ce moment que je me
contenterais d’un seul dindon même si l’occasion se présentait d’en récolter un
second. Si les gestionnaires de la faune au Québec sont des irresponsables, les
chasseurs ne sont pas tenus de l’être eux aussi!
Le jeudi 24 avril, mon anniversaire(!) et la
veille de la journée d’ouverture, je quittai le confort de mon lit à 3h dans la
nuit pour une seconde prospection. Je tenais à être sur place dès les premières
lueurs de l’aube afin de voir où se trouvaient les dindons aperçus plus tôt
dans la semaine. J’en repérai quelques groupes, mais je jetai mon dévolu sur un
en particulier qui comprenait 6 femelles et 1 mâle mature. Comme j’avais toute
la journée devant moi, j’allai discuter avec l’agriculteur chez qui j’avais
déjà chassé en 2013. Je l’avais contacté plus tôt au cours de l’hiver pour
réitérer ma demande, ce qu’il m’avait accordé volontiers. En discutant avec lui,
il m’apprit que son père avait toutefois donné la permission, dans la semaine,
à deux autres chasseurs, mais que ceux-ci avaient ciblé d’autres terres…
J’allais donc devoir être vigilant pour m’assurer de ma chasse du lendemain.
Les dindes faisant une courte sieste tandis que le dindon les embête avec sa parade amoureuse! |
Vers les 9 h,
les oiseaux entrèrent en forêt sans doute pour se mettre à l’abri du vent qui
soufflait très fort ce jour-là. Comme c’était mon anniversaire, je m’offris un
dîner au restaurant du village! Je revins vers 14 h et les 7 dindons se
nourrissaient à nouveau dans le champ. En sachant qu’ils seraient convoités par
d’autres chasseurs, je décidai de demeurer en bordure du champ tant qu’il le
faudrait, c’est-à-dire jusqu’à la noirceur! Pendant 6 heures consécutives, je
surveillai « mes » dindons...
Par chance!
En soirée, un premier
chasseur s’amena pour me dire d’un ton directif qu’il chasserait là le
lendemain. N’aimant pas le conflit, je lui suggérai poliment d’aller en rediscuter
avec le propriétaire. Il n’insista pas et joua plutôt la carte de la pitié en
me disant qu’il n’avait de disponibilité pour la saison que la journée de
l’ouverture… Pour l’aider, je lui suggérai un autre endroit non loin où j’avais
observé des dindons ainsi que le nom et l’adresse du propriétaire. En guise de
réponse, il me dit: « Ben pourquoi tu y vas pas toi? » Je vis donc à
qui j’avais affaire et lui dis tout simplement que je ne voulais pas le voir
dans mes pattes le lendemain. Il quitta l'endroit l'air dépité…
Un deuxième chasseur
arriva un peu plus tard et vint directement me voir. Il me demanda si j’avais
l’intention de chasser dans ce champ. Devant ma réponse affirmative, il me
salua poliment en me souhaitant bonne chasse. Quelle classe et quel contraste
avec le précédent!
L'envol du soir. En y regardant attentivement, on peut y voir une dinde en vol... |
Vers 19 h 30, j’assistai à l’envolée vers le perchoir. Un dindonnier qui se respecte cherche toujours à savoir avec le plus de précision où se trouve ledit perchoir. Dans ce cas précis, l’arbre choisi se trouvait immédiatement au bord du champ, ce qui me donnait la quasi-certitude que les oiseaux reviendraient dans ce même champ au petit matin. Il arrive souvent que les dindons entrent en forêt en marchant, ce qui entraîne invariablement un flot de questions dans la tête du dindonnier et une nuit de sommeil peu reposante! À mes yeux, l’avantage de savoir où se trouvait le perchoir me permit d’établir par où je ferais mon approche la nuit suivante.
Comme le jour
déclinait et que les dindons étaient en lieu sûr, je partis installer mon
campement afin de passer la nuit. La température devait descendre à -3°C; qu’à
cela ne tienne, j’avais prévu le coup avec ce qu’il fallait de matériel pour ne
pas me geler! Une fois ma tente installée, je soupai d’une « canne de
beans Clark » puis allai me coucher. Avant de m’endormir, je pris le temps
de visualiser ma chasse dans ses moindres détails… Je dormis bien.
À peine six heures
plus tard, je défaisais mon campement! Je garai ma voiture en bordure du fameux
champ à 3 h 50. Le ciel était constellé et la lune n’était pas encore
levée. C’était parfait! Je fis un long détour en marchant le plus discrètement
possible. Afin d’éviter la tentation de m’en servir, j’avais volontairement
laissé ma lampe frontale dans la voiture! Mon approche était digne d’un maître
ninja!
À environ 300m du
perchoir, je m’arrêtai et installai avec mille précautions mes deux appelants. C’eut
été courir un risque inutile que de m’approcher d’avantage du perchoir. J’entrai
ensuite discrètement sous le couvert des arbres pour m’y embusquer. J’enlevai
les petites branches sèches qui se trouvaient sur le sol et y étalai tous mes
appeaux et accessoires. Il était 4 h 30 et j’étais fin prêt!
La lune décroissante
se leva à l’horizon; c’était plus que parfait en plus d’être un magnifique
spectacle. C’est toujours un pur ravissement d’assister au levé du jour en
nature, je ne m’en lasserai jamais!
À ce moment, j’étais
concentré à l’extrême sur la chasse et je visualisais sans relâche les
évènements probables. Cette visualisation est plus qu’importante pour le
chasseur; elle permet d’atténuer considérablement les effets néfastes du « buck
fever ». Je suis un chasseur expérimenté et je connais bien ce phénomène
que les non-chasseurs ont parfois du mal à se figurer. À 5 h, le mâle
chanta son premier glouglou. J’eus des frissons dans le dos et mon cœur se mit
à cogner fort!
À 5 h 10, je
me hasardai à jeter un coup d’œil et je le vis qui paradait au pied du perchoir
pour impressionner les dindes qui s’y trouvaient encore. Malgré la proximité de
ma cachette, je n’avais pas entendu ses battements d’ailes lors à sa descente...
Le lecteur connait la suite des évènements… Le tom
était sur le point de s'attaquer à mon appelant... Je pressai la gâchette: BOUM!
À 5h20, ma chasse était terminée!
La scène... |
... et le tableau final! |
Une cinquième saison
de chasse au dindon sauvage pour moi déjà. J’ai acquis une relative expérience
à force de me « frotter » à ce gibier spectaculaire. À lire ce récit,
on pourrait croire que la chasse du dindon est facile. Il n’en est pourtant
rien. Pour parvenir à ce résultat, j’ai consacré beaucoup de temps et d’effort.
Je n’ai lésiné sur aucun détail et j’ai chassé de toutes mes forces!
Je tenais beaucoup à
réussir cette fois pour mettre un terme à ma triste saison de chasse aux
prédateurs. Je suis parvenu à laisser momentanément mes « problèmes
personnels » de côté et j’en suis fort aise.
À bientôt pour d’autres aventures, je vais de ce pas faire une sieste rattraper les heures de sommeil manquantes!
Voici comment ça s'est passé... |
Le groupe se tenant juste devant le cèdre sous lequel je me cacherais le lendemain... |
Genre de choses qu'on peut voir en prospectant! |
Bravo; content de voir que tu semble avoir repris... du poil de la Bête...
RépondreSupprimerTralee "Old Buck" 2014-04-29
Merci Tralee! J'ai plusieurs beaux projets pour 2014. En attendant, la chasse au dindon n'est pas encore terminée et j'y retournerai pour guider cette fois mon ami Jean V[...]. Peut-être un nouveau récit... À suivre
SupprimerBonjour Thierry ; content de te lire à nouveau
SupprimerLe frère de mon voisin possède trois terres boisées en Estrie ;à l`automne il avait repéré trois groupes distincts de 50 dindons ;ce printemps ,il n`a aperçu que 3 -4 oiseaux sur ses terres |
Au plaisir Claude Pesant